Avec la montée des enjeux climatiques, la décarbonation de nos économie au travers de la transition énergétique et la nécessité de renforcer la résilience des systèmes agricoles, l’agrivoltaïsme s’impose comme une solution innovante. Pour garantir un usage durable et respectueux des terres agricoles, la France a instauré, le 9 avril 2024, un nouveau cadre réglementaire structurant pour la filière. Ce décret impose des règles claires et des critères techniques stricts pour encadrer le développement des installations photovoltaïques sur les parcelles agricoles.
Considéré comme l’un des plus rigoureux au monde, ce cadre repose sur deux grands objectifs : protéger les terres agricoles et assurer un service agronomique concret et mesurable. Le Journal du Photovoltaïque (octobre-décembre 2024) revient en détail sur cette réglementation, ses objectifs, ses impacts et les réactions des acteurs du secteur. Nous vous proposons ici un résumé des principaux points à retenir pour mieux comprendre les défis et les opportunités de l’agrivoltaïsme en France, l’article dans son intégralité est disponible dans l’édition 53 du Journal du Photovoltaïque.
Les principes clés de la nouvelle réglementation
Des limites chiffrées précises pour encadrer les projets
Le décret d’avril 2024 impose des seuils stricts à respecter pour qu’un projet puisse être qualifié d’agrivoltaïque :
- Taux de couverture maximal : les panneaux photovoltaïques ne peuvent couvrir plus de 40 % de la surface agricole d’une parcelle.
- Baisse de rendement agricole limitée : l’installation ne doit pas engendrer une perte de rendement agricole supérieure à 10 % par rapport à une parcelle témoin, sur cultures comme sur fourrages.
Ces chiffres visent à protéger la vocation agricole des terres tout en permettant le développement des énergies renouvelables. Ils sont jugés contraignants par certains acteurs, comme Audrey Juillac, présidente de la Fédération Française des Producteurs Agrivoltaïques (FFPA), qui estime que “respecter ces seuils dès la première année d’exploitation pourrait s’avérer très complexe”, surtout en raison des ajustements techniques nécessaires au sol.
D’autres experts trouvent à contrario ces critères au contraire trop souples, notamment sur le taux de couverture de 40% , ou difficiles à vérifier à priori ou sanctionner à posteriori. L’article détaille ces éléments point par point.
Un service agronomique au cœur des critères
L’un des points majeurs du décret est la nécessité de prouver que les panneaux photovoltaïques apportent un véritable service agronomique. Ce service doit se traduire par des bénéfices mesurables pour la parcelle, tels que :
- La protection contre les aléas climatiques : grêle, canicule, gel…
- La régulation du stress hydrique : limitation des pertes d’eau grâce à l’ombrage dynamique.
- L’amélioration du potentiel agronomique : stimulation de la croissance, réduction des périodes de stress des cultures.
- Le bien-être animal : pour les élevages en plein air, les panneaux offrent de l’ombre et réduisent l’exposition aux fortes chaleurs.
Ces objectifs visent à garantir que l’agrivoltaïsme ne se limite pas à la production d’énergie. Comme le souligne Céline Mehl, chargée de mission à l’Ademe, “il s’agit d’assurer un équilibre entre la vocation agricole des terres et la production d’énergie solaire”, ce qui justifie l’importance de ce concept de service agronomique mesurable.
Les points de tension et les défis du secteur
Des seuils trop élevés ?
Le taux de couverture de 40 % fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part de Christian Dupraz, chercheur à l’INRAE et pionnier de l’agrivoltaïsme. Il estime que ce taux de couverture pourrait désavantager certaines cultures, notamment les plantes dites “C4” comme le maïs et le sorgho, qui nécessitent beaucoup de lumière. Selon lui, “un taux de 20 % serait plus adapté”, car les études montrent qu’un taux de 40 % peut entraîner des pertes de rendement importantes.
Des sanctions sévères en cas de non-conformité
Pour garantir le respect de ces seuils, des sanctions strictes sont prévues en cas de non-conformité. Les installations qui ne respectent pas la perte de rendement de 10 % ou la couverture de 40 % s’exposent à des amendes et au démantèlement des installations. Cette perspective inquiète les exploitants agricoles et les développeurs, qui soulignent que la viabilité économique des projets pourrait être compromise, notamment en cas d’aléas climatiques exceptionnels. Le Journal du Photovoltaïque précise que ces mesures visent à garantir la transparence et la crédibilité de la filière agrivoltaïque.
Une complexité administrative et juridique
L’application du décret est perçue comme techniquement et administrativement complexe. Selon Gossement Avocats, cette réglementation croise plusieurs disciplines juridiques (agriculture, environnement, urbanisme, énergie) et nécessite l’intervention de plusieurs acteurs (chambres d’agriculture, CDPENAF, services de l’État). Cette complexité peut allonger les délais de validation des projets et créer des disparités d’interprétation selon les régions.
Les perspectives d’avenir
Création d’un outil d’évaluation national
Pour faciliter la mise en œuvre du décret, l’État a confié à l’Ademe la création d’un outil méthodologique national. Cet outil, qui sera déployé d’ici le printemps 2025, permettra de vérifier que les projets respectent bien les seuils et qu’ils apportent un véritable service agronomique. Cet outil devrait aider les services de l’État et les acteurs locaux à évaluer objectivement les projets agrivoltaïques.
Vers une généralisation de l’agrivoltaïsme d’ici 2050
Avec la montée des enjeux énergétiques et climatiques, le développement de l’agrivoltaïsme est perçu comme stratégique à l’horizon 2050. Selon le Journal du Photovoltaïque, l’objectif est de porter la puissance installée à 50 GW d’ici 2050, contre 1,3 GW aujourd’hui. Pour y parvenir, il faudra renforcer la cohérence des règles et ajuster les critères d’éligibilité pour éviter que les exploitants ne soient pénalisés. Cependant, les experts estiment que seules 10 % des promesses de projets se concrétiseront.
Conclusion
Le cadre réglementaire de l’agrivoltaïsme, mis en place le 9 avril 2024, marque un tournant majeur pour le secteur agricole et énergétique en France. En imposant des seuils stricts et en demandant un service agronomique clair et mesurable, l’État cherche à garantir la cohérence entre production agricole et production d’énergie.
Cependant, les critiques portent dans un sens comme dans l’autre sur l’ exigeance de la réglementation, en particulier les seuils de 40 % de couverture et de 10 % de perte de rendement. Les avis sont partagés : certains, comme Christian Dupraz, estiment que ces chiffres sont inadaptés, tandis que d’autres voient dans ce décret une opportunité de crédibiliser la filière et de mieux valoriser l’agrivoltaïsme.
Avec l’arrivée d’un outil d’évaluation national en 2025 et la volonté de généraliser la pratique à grande échelle d’ici 2050, l’agrivoltaïsme est appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique et agricole de la France.