Par Antoine Nogier
Le débat sur le partage de la valeur en agrivoltaïsme continue. Après un premier épisode consacré aux grands principes, place aux chiffres concrets. De quelle valeur parle-t-on exactement ? Comment est-elle répartie ? Et quelles conséquences cela a-t-il sur l’agriculture et le prix de l’électricité ?
Plutôt que d’empiler les promesses, intéressons-nous aux réalités économiques d’un projet agrivoltaïque. Car derrière les grandes idées se cachent des mécanismes bien réels, qui structurent la filière et conditionnent son avenir.
De quelle valeur parle-t-on vraiment ?
Prenons un exemple concret : un agriculteur près de Nîmes souhaite protéger sa parcelle de vignes avec une structure agrivoltaïque dynamique. Hauteur : 4 à 5 mètres. Objectif : protéger du gel, de la grêle et des excès climatiques tout en maintenant la production.
Coût de l’installation : environ 1 million d’euros par hectare, soit 1,2 million d’euros par mégawatt-crête (MWc).
Comment finance-t-on un tel projet ?
Le modèle repose sur un équilibre subtil :
10 à 20 % de fonds propres, le reste financé par emprunt.
Une rentabilité assurée par les appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), où l’investisseur doit proposer le prix le plus bas possible tout en garantissant un retour sur investissement de 7 à 8 % par an sur 30 ans.
Qui gagne quoi ?
L’investisseur engage 150 000 € de fonds propres par hectare et espère récupérer 10 000 à 15 000 € par hectare et par an sur les 20 premières années, puis davantage ensuite.
L’agriculteur perçoit un loyer annuel de 2 000 à 5 000 € par hectare, soit 20 à 30 % du bénéfice que se réserve l’investisseur.
Un revenu conséquent dans le monde agricole, mais cela soulève une question essentielle : peut-on vraiment parler de partage de la valeur sans partage du risque ?
Les revenus de la vente d’électricité (environ 100 000 €/ha/an) servent avant tout et sur plusieurs années à rembourser l’installation et son exploitation. Il ne s’agit donc pas d’un pactole à se partager mais d’un modèle financier construit sur le long terme, avec ses équilibres et ses contraintes.
Quel impact sur le prix de l’électricité et des terres agricoles ?
Un effet direct sur le prix de l’électricité
Le système des appels d’offres CRE est conçu pour faire jouer pleinement la concurrence et encourager une baisse des prix de l’électricité, tout en favorisant les projets les plus compétitifs. Mais dès que l’on impose un partage de la valeur contraignant (qu’il s’agisse d’un décret ou de loyers généralisés), les développeurs n’ont pas d’autre choix que d’augmenter leurs tarifs pour maintenir leur rentabilité.
Exemple concret : lorsque l’État a étudié l’instauration d’une contribution territoriale de 17 500 €/MWc, il a vite réalisé que cette somme se répercuterait directement sur les prix de l’électricité. Résultat : pause dans la réflexion.
Le piège des loyers élevés
Aujourd’hui, certains projets proposent des loyers atteignant 10 000 €/ha/an. Une somme qui peut sembler attractive, mais qui repose sur un mécanisme fragile : ce sont les appels d’offres CRE qui les financent.
Le problème est simple : tant que l’État soutient ce mécanisme, les loyers peuvent continuer d’augmenter. Mais le jour où l’État met un coup d’arrêt, la bulle éclate.
Autre effet pervers : l’inflation du prix des terres agricoles.
Les agriculteurs bénéficiant de ces loyers veulent garder la rente donc la terre, ce qui complique l’accès au foncier pour les nouvelles générations.
Avec 50 % des exploitants qui partiront à la retraite d’ici 2030, ce phénomène risque d’accentuer la difficulté à transmettre les exploitations.
Quand le partage de la valeur devient un levier de spéculation foncière, il s’éloigne de son objectif initial.
Quelles pistes pour un partage de la valeur équilibré ?
Pour que l’agrivoltaïsme bénéficie réellement au monde agricole, il faut le réguler intelligemment, en tenant compte des biais et risques de dérives évoqués ci-dessus. Voici quelques pistes de réflexions que je défends :
Plafonner les loyers agricoles
- Limiter les loyers permet de :
- Stabiliser le prix des terres agricoles, pour éviter la spéculation.
- Garantir que l’agrivoltaïsme bénéficie à l’agriculture, et pas seulement aux propriétaires fonciers.
- Prévenir une hausse des prix de l’électricité, en évitant que les développeurs ne compensent ces coûts dans leurs offres CRE.
Plafonner ne signifie pas moins redistribuer, mais répartir autrement :
- En s’assurant que la majeure partie du loyer bénéficie directement à l’exploitant agricole.
- En explorant d’autres formes de partage, comme la participation au capital du projet ou le financement d’équipements agricoles.
Encadrer la taille des projets
Aujourd’hui, les grands projets captent l’essentiel de la valeur. Limiter leur taille permettrait de :
- Multiplier le nombre d’exploitations bénéficiaires.
- Prioriser les exploitations les plus vulnérables face au changement climatique.
Compléter avec un mécanisme de contribution territoriale
Une contribution au partage territorial de la valeur peut être pertinente si elle est bien pensée. Elle doit :
- Financer des projets d’intérêt général pour l’agriculture.
- Aider les jeunes agriculteurs à accéder au foncier.
- Éviter que seuls quelques exploitants bien positionnés en bénéficient.
Mais cette contribution doit avoir un objectif clair et utile, et non devenir une taxe floue. Et comme expliqué dans l’épisode 1, elle ne remplacera jamais les aides agricoles existantes.
📌 Cet article est issu du deuxième épisode sur le partage de la valeur, publié initialement sur LinkedIn par Antoine Nogier.